notion d'espèce
Problème : Depuis très longtemps, avec des auteurs comme Aristote, la division des êtres-vivants en groupes est apparues comme une évidence. On a appelé ces groupes des taxons. Quand et pourquoi est apparue la notion d'espèce ?
De l'Antiquité à la Renaissance
Aristote est l'un des premiers à réfléchir à la notion d'espèce en cherchant à classer les êtres-vivants. Elle correspond pour lui à une ressemblance entre le géniteur (= celui qui donne la vie) et sa descendance. Cependant, les observations d'Aristote peuvent prêter à sourire. Il pense que les espèces se transforment au cours des saisons : la huppe devient un épervier et reprend sa forme originelle à l'automne. Il pense enfin que les individus d'espèces différentes peuvent se reproduire entre eux sans contraintes particulières.
En 1583, Césalpin utilise la notion d'espèce pour classer ses plantes. Pour lui les plantes qui se ressemblent dans leur totalité font partie, en général, de la même espèce.
Buffon et le XVIIIe siècle
Parmi les différents types de groupes déterminés par Carl Von Linné (voir partie "Histoire de la classification") : Règne, Embranchement, Classe, Ordre, Genre, Espèce; Buffon n'en admet qu'un seul : l'espèce. Pour lui, l'idée principale de la définition qu'il donne à l'espèce est la notion de reproduction. Dans Histoire générale des animaux de son Histoire naturelle il publie en 1749 :
«On doit regarder comme la même espèce celle qui, au moyen de la copulation, se perpétue et conserve la similitude de cette espèce, et comme des espèces différentes celles qui, par les mêmes moyens, ne peuvent rien produire ensemble.»
Du coup, Buffon regroupe tous les êtres-humains dans un seul groupe et explique les différences observées par l'action du climat ou de la nourriture. Il a également une approche comportementale de l'espèce, regroupant les animaux qui ont un comportement similaire dans un seul groupe. Il permet aussi de rejeter la notion d'espèce minérale qui était en vigueur au XVIIIe siècle.
Denis Diderot comprend l'importance des découvertes de Buffon et décide de la publier dans son Encyclopédie au sein de l'article Espèces en 1755.
L'affaire est reprise par Charles Bonnet, un naturaliste suisse, en 1740. Après mûres réflexions, Bonnet propose lui aussi sa définition de l'espèce. En fait, il se rend compte, en observant les pucerons, qu'une même espèce peut avoir différents modes de reproduction en fonction de la période de l'année. Il met aussi en évidence l'existence de fécondations entre espèces différentes. A partir de ses constatations, il rejette la vision de Bonnet pour définir une espèce par une combinaison de caractéristiques morphologique (= liées à l'aspect), physiologiques (= liées au fontionnement de l'organisme) et éthologiques (= comportementales). Aucun de ces critère n'a plus d'importance qu'un autre.
En 1798, Georges Cuvier propose sa définition de l'espèce dans son livre Tableau élémentaire de l'histoire naturelle des animaux. Elle correspond à l'ensemble de tous les organismes nés les uns des autres, ou de parents communs et de tous ceux qui leur ressemblent. On retrouve les propriétés d'interfécondité entre individus d'une même espèce et de ressemblance.Sa définition est cependant problématique vis à vis des fossiles. En effet, ne pouvant attester de la fécondité de deux fossiles, on ne devrait pas pouvoir les ranger dans la même espèce. Il fait donc une entorse à sa règle en utilisant seulement le critère de ressemblance pour les fossiles.
Lamarck, Darwin et le XIXe siècle
Dès 1778, c'est au tour de Jean-Baptiste Pierre Antoine de Monet, chevalier de Lamarck (ou Jean-Baptiste Lamarck) de se pencher sur le sujet. Tout au long de sa vie, son concept d'espèce va changer. Lamarck n'arrive pas à se mettre vraiment d'accord sur ce qu'est une espèce. En 1778, dans son ouvrage Flore française, il est convaincu, tout comme Buffon, que l'Espèce est la seule entité qui existe vraiment dans la nature tandis que les autres groupements (Règne, Embranchement, Classe,...) ne sont qu'artificiels.
En 1793, Lamarck rentre au Museum d'Histoire Naturelle de Paris où il va donner des cours sur la zoologie (étude des animaux) des Invertébrés (animaux qui ne possèdent pas de vertèbres : ce mode de classification n'est plus en vigueur aujourd'hui : voir approfondissement sur la classification). Il estime alors que l'espèce n'existe pas, que c'est une invention des naturalistes (personnes qui étudient les êtres-vivants). Il pense que dans la nature il n'y a que des individus qui se succèdent et qui ressemblent à leurs parents.
Pendant ses cours, il utilise néanmoins la notion d'espèce par simplicité par rapport à ses étudiants. Il y regroupe alors les individus semblables que les générations perpétuent dans le temps. Et dans ses recherches, il décrit plusieurs dizaines de milliers d'espèces d'Invertébrés. Il y a donc une sorte de confusion dans l'esprit de Lamarck qui pense que les espèces n'existent pas et pourtant utilise ce terme qui lui facilite le travail de recherche.
En 1816, Lamarck change à nouveau d'avis et revient sur son idée de départ. Il donne ainsi sa définition dans le Nouveau dictionnaire d'histoire naturelle :
«Collection d'individus semblables et de même nature qui existent, quoique nous ne puissions observer que certains de ces individus, et jamais à la fois la collection entière. [...] L'espèce, dans les corps vivants, est l'objet le plus direct de nos études.»
Au milieu du XIXe siècle, des naturalistes reviennent sur une défintion biblique de l'espèce. Dieu aurait créé les êtres-vivants sous forme d'espèces qui restent fixe (c'est-à-dire qu'elles ne changent jamais).
Pour Charles Darwin, les espèces sont des combinaisons artificielles, inventées pour une plus grande commodité. Ses partisans iront plus loin en parlant de fiction, de construction mentale,...
Du XXe siècle à nos jours
En 1942, l'évolutioniste (personne qui travaille sur le concept d'évolution des espèces) américain Ernst Mayr propose une nouvelle définition de l'espèce. Pour lui, une espèce regroupe des populations (ensemble d'êtres-vivants) à l'intérieur desquelles les individus sont réellement (ou potentiellement) capables de se reproduire. C'est la reproduction qui permet de définir la séparation entre deux espèces.
Le médecin et biologiste français Jacques Ruffié, propose en 1982, dans son livre Traité du vivant, la définition d'espèce qui est encore adoptée par la communauté scientifique aujourd'hui. Il dit que l'espèce existe dans la nature, mais que tous les autres niveaux de classifications (Règnes, embranchement,...) ne sont que des inventions de naturalistes. On arrive donc avec une définition de l'espèce étant un ensemble d'organismes qui se ressemblent, qui peuvent se reproduire entre eux et dont la descendance peut également se reproduire.
Comme toute règle établie, la notion d'espèce continue à faire polémique aujourd'hui. En effet, des zoologistes et des paléontologues actuels semblent avoir découvert un grand nombre d'espèces proches qui sont capables de se reproduire entre eux en donnant des descendants féconds.
Conclusion
La notion d'espèce a beaucoup évolué dans le temps. On peut remarquer cependant que peu de concepts différents se sont succédés : ce sont les mêmes idées qui apparaissent, disparaissent et réapparaissent au cours du temps, avec des auteurs différents. Si on doit ne retenir qu'un élément, c'est que la notion d'espèce est floue voire indéfinissable.
Source : Histoire des Sciences de la Vie, Pascal Duris et Gabriel Gohau, Belin 2011.